Le patrimoine routier

Domitia & Julia Augusta : Viae Publicae

Avant la pacification des tribus alpines, les Romains ne connaissent guère les Alpes et les considèrent selon Pline l’ancien comme un « rempart infranchissable ». Seuls quelques marchands s’aventurent dans ces territoires hostiles sur des voies entretenues par des peuplades locales comme les Salasses en Val d’Aoste qui imposent des péages.

Lorsque la pacification du sud de la Gaule est achevée en 117 av. J.-C., on organise un réseau commode de communication pour les soldats et les administrateurs dont bénéficient les marchands et les voyageurs. Il s’agit de relier dans les meilleures conditions et le plus rapidement possible l’Italie aux provinces de l’Hispanie en passant par la Narbonnaise. Les ingénieurs romains reprennent et améliorent les tracés existants d'anciennes drailles ou de chemins gaulois. Ils choisissent de traverser les Alpes par le Mont Genèvre qui est alors le trajet le plus fréquenté et demeure le plus accessible même en hiver. La voie longe ensuite la Durance. Les travaux sont supervisés par le consul Gnaeus Domitius Ahenobarbus qui donnera son nom à la via Domitia.

Sous Auguste, on prolonge une seconde voie, la via Julia Augusta à travers la nouvelle province des Alpes Maritimae dont la récente pacification est commémorée par un trophée érigé à La Turbie en 7 av. J.-C. Cette voie qui longe le littoral dessert d’anciens comptoirs marseillais autrefois accessibles uniquement par la mer à l’instar de Nikaia (Nice) et d’Antipolis (Antibes) et de nouvelles cités romaines comme Cemenelum (Cimiez), chef lieu de la Province créée en 14 av. J.-C. ou Forum Julii (Fréjus) créée en 49 av. J.-C. par César pour supplanter Marseille et devenir un port militaire.

Routes Royales

En 1581, Le duché de Savoie entièrement reconstitué permet au souverain savoyard de contrôler une grande partie des échanges commerciaux européens qui transitent par les Alpes entre le lac Léman et les rivages de Nice et Villefranche.

L’essentiel du trafic repose sur le commerce du sel. Les éleveurs piémontais en réclament d’énormes tonnages pour assurer l’alimentation animale et humaine, pour préparer les salaisons des charcuteries, de beurre et de fromage ou encore pour procéder au traitement des peaux. Les bateaux en provenance des salines provençales et languedociennes sont déchargés à Nice. Le transport du sel, fort lucratif, est assuré par des muletiers regroupés en de puissantes confréries.

Plusieurs itinéraires sont alors régulièrement entretenus par les fermiers des gabelles à l’instar de Paganino del Pozzo à la fin du XVe siècle. Ils assurent la prospérité des communes traversées (Lucéram, Saint-Martin-Vésubie, etc.), ce dont témoigne encore aujourd’hui leur riche patrimoine architectural et artistique. Les routes du sel empruntent les vallées des Paillons pour rejoindre celles de la Vésubie ou de la Roya et, une fois les cols franchis, convergent vers Coni.

Charles-Emmanuel Ier décrète en 1610, la construction d’une nouvelle route entre Nice et Turin. Il imagine les nouveaux débouchés que la route générera pour les productions agricoles, pour l’élargissement des approvisionnements, pour la création d’entreprises dans les domaines commerciaux, financiers, artisanaux… On choisit un tracé inédit, au fond des gorges de la Roya totalement vides d’habitants. La préoccupation est double : il s’agit de disposer d’un itinéraire rapide, voué aussi bien au commerce entre la mer et la plaine du Pô qu’à l’administration et à la défense du pays. Passant sous le château de Saorge, la nouvelle route bénéficie d’une protection idéale face à une éventuelle armée d’invasion dont il est très facile d’arrêter la progression.

Pour assurer un plein succès à son entreprise qu’il finance en large part, le souverain accorde diverses franchises aux ports de Nice et de Villefranche entre 1612 et 1613. En 1616, il fonde le hameau de Fontan, où s’établissent commerces, auberges, ateliers d’entretien, magasins de fournitures rapidement prospères. L’activité économique de Saorge surplombant l’itinéraire et celle de La Brigue, légèrement à l’écart sont ainsi sacrifiées sur l’autel de la modernité. Un siècle plus tard, à Tende, le trafic est si dense, que les statuts de la communauté prévoient pour éviter l’encombrement des rues un sens unique de circulation ! En 1776, on estime à 55 000 les mulets transitant de Nice à Coni soit une moyenne de 150 bêtes par jour !

En 1780, Victor Amédée III lance la modernisation de la route du col du Tende. La part contributive de chaque commune, les subventions du trésor royal, les 2000 forçats et les militaires qui les surveillent… permettent une rapide exécution du chantier. Dès 1785, la route est carrossable mais le percement du tunnel sous le col de Tende, compte tenu de la démesure de l’entreprise, échoue. Sur les 2446 mètres prévus, seuls 142 furent creusés « par le fer et par le feu ». Il faut attendre 1882 pour que le génie civil italien ouvre à la circulation le tunnel actuel, long de 3182 mètres.

Le désenclavement des vallées

A la chute de l’Empire, la vallée du Var est dépourvue de voies carrossables. Considérées comme des défenses naturelles, les vallées montagneuses du comté de Nice n’ont délibérément pas été aménagées. De fait, l’armée sarde ne souhaite pas l’ouverture d’une route jusqu’à Puget-Théniers, qui risquerait d’être emprunté par les canons de l’armées françaises sachant que la place forte d’Entrevaux est déjà desservie par une route la reliant à Avignon.

L’endiguement du Var du Baou-Roux à la mer à partir de 1845, sur lequel prend appui une route carrossable est essentiellement motivé par des projets agricoles visant à récupérer d’importants espaces irrigables. Le prolongement du chemin muletier de Nice à Saint-Martin-Lantosque (Saint-Martin-Vésubie) en passant par les gorges de la Mescla pour éviter le détour par Levens et Utelle répond aux demandes répétées des habitants de la Vésubie. Toutefois, il n’est pas question pour les autorités d’établir un pont sur le Var.

Il faut attendre la loi du 26 juin 1853 « sur les routes de la province de Nice » pour relancer les initiatives. On entérine la construction de routes dans les vallées de l’Estéron, du Var, de la Tinée et de la Vésubie. Les travaux débutent en 1856. Les gorges de la Mescla sont franchies en 1859, mais après trois années d’efforts et la ruine de l’entrepreneur Laurent Magnan, ils sont stoppés.

C’est sous Napoléon III, suite à l’Annexion du comté de Nice à la France que les aménagements routiers sont poursuivis. Ainsi en 1868, Puget-Théniers, devient la dernière sous-préfecture de France à être reliée par un chemin carrossable.

Les gorges de la Vésubie et de la Tinée ralentissent la progression des aménagements. Il faut attendre 1876 pour que Saint-Martin-Lantosque (Saint-Martin-Vésubie) et Saint-Sauveur soient desservies. Se rendre à Nice ne prend alors pas plus de 9h30 ! Saint-Etienne n'est atteint, du fait des réticences de l’armée française, que vingt ans plus tard. La dégradation des relations diplomatiques entre la France et l’Italie rend impensable le prolongement de l’itinéraire en direction de l’Ubaye au risque d’en faire une voie d’invasion pour les troupes italiennes.

On préfère la vallée du Var plus éloignée de la frontière pour prolonger la route en direction des garnisons de Barcelonnette et du fort de Tournoux. Cet itinéraire stratégique ouvre le col de la Cayolle avec les renforts du Génie et des Chasseurs alpins. Le président Raymond Poincaré devait présider la cérémonie en août 1914, mais l’Histoire en marche en décida autrement…

La Route des Grandes Alpes

En ce début du XXe siècle, les Alpes françaises ne sont déjà plus réservées aux seuls montagnards. Dès la fin du XIXe siècle, l’armée a tracé de nombreuses routes stratégiques. Ces travaux, destinés à faire face à une Italie impliquée aux côtés de l’Allemagne et de l’Autriche-Hongrie dans la Triple Alliance (1882), ouvrent les Alpes à la conquête de l’automobile.

En 1904, l’itinéraire d’un concours « d’alpinisme automobile » préfigure les ambitions du Touring-Club de France. Il relie Aix-les-Bains et Annecy à Grenoble par une boucle au col de Vars et en vallée de l’Ubaye.

Le Touring-Club de France rêve d’une route «qui côtoiera les glaciers et les précipices, sinuera le long des champs de neige et surprendra les torrents à leur source ». Son ambition, sans limite pour promouvoir le tourisme et valoriser les beautés naturelles de l’hexagone va s’épanouir au travers d’un projet titanesque : la Route des Alpes - 615 kilomètres du lac de Genève à la mer – 10675 mètres d’altitude cumulée – huit cols. Cette voie est l’expression d’un patriotisme exacerbé : Plus haute que celle grimpant au Col de Stelvio (2759 m.) au Tyrol, plus belle que les routes postales suisses. Il s’agit de relier les deux plus grandes capitales du tourisme d’été et d’hiver que sont Evian à Nice par les cols en effleurant les glaciers du Mont-Blanc : « la plus belle route de montagne du monde, entre le plus grand lac d’Europe occidentale et la mer Méditerranée» affirmait Léon Auscher.
 

Le patrimoine ferroviaire

Le Train des Pignes

Le projet de création d’une ligne ferroviaire reliant Nice à Digne a dans un premier suscité des réticences. Celles de l’'armée en raison de la proximité de la frontière, dans un contexte de tensions diplomatiques franco-italiennes. Celle de la Compagnie ferroviaire PLM qui se montrait assez dubitative quant à la rentabilité du projet. Seules les populations locales et leurs représentants plaçaient tous les espoirs dans cette réalisation qui devait relier les Alpes et la Côte d'Azur.

Dans un premier temps furent donc construites, et livrées en 1892, deux sections : Digne - Saint André et Nice- Puget-Théniers. La jonction entre elles, une cinquantaine de kilomètres, dut attendre pratiquement vingt ans et ne fut ouverte à la circulation des trains qu'en juillet 1911. Le Sud-France devint alors le plus important réseau d'intérêt général du pays, bientôt complété par les lignes de tramways remontant les principales vallées. L'écartement métrique a été retenu afin de contenir les coûts de construction de la plate-forme.
 

En tram dans les vallées

Dans les premières années du XXème siècle, alors que les travaux du Chemin de fer du Sud France entre Puget-Théniers et Saint-André sont relancés, les populations des vallées du Haut pays réclament l’établissement de voies ferrées qui permettraient de les relier au futur axe ferroviaire Nice-Digne et, par là, de leur ouvrir un débouché vers les localités en pleine expansion du littoral.

Cette volonté de désenclavement, pratiquement unanime, trouve un écho auprès du Conseil général des Alpes-Maritimes qui, dès février 1904, ouvre une enquête d’utilité publique en vue de la constitution d’un réseau de tramways départementaux.

Les élus retiennent le tramway car son infrastructure est considérée comme économique. En établissant principalement la voie sur une route existante, on réduit le volume des terrassements et le nombre des ouvrages d’art. L’emploi d’une voie étroite, de 1 mètre de large permet de suivre au plus près les contours du relief, avec des courbes serrées et des déclivités prononcées. Enfin l’Etat octroie des subventions aux concessionnaires de lignes dont la recette kilométrique ne dépasserait pas 6.000 francs.

Après étude de l’avant-projet par l’administration des Ponts & Chaussées, un ensemble de lignes (le projet total mesure 245,5 km.) est déclaré d’utilité publique par décret du président Emile Loubet, en date du 10 février 1906, et concédé au département des Alpes-Maritimes. Quelques jours auparavant, entre le 29 et le 31 janvier 1906, celui-ci a conclu une convention avec la Compagnie des Chemins de fer du Sud de la France (SF), pour lui rétrocéder l’équipement technique et l’exploitation des futures lignes de tramways affluentes à son propre réseau, soit :

  • Vallée du Loup : de Cagnes à Vence et de Cagnes-Grasse au Pont-du-Loup et Thorenc (jamais réalisée)
  • Estéron : du Pont-Charles-Albert à Roquestéron
  • Vésubie : de Plan-du-Var à St-Martin-Vésubie
  • Tinée : de La Mescla à St-Sauveur-sur-Tinée
  • Haut-Var : de Pont-de-Gueydan à Guillaumes

Une autre convention est signée avec les Tramways de Nice et du Littoral (TNL) pour les lignes Cagnes – Cap d’Antibes, Nice - Levens, Menton - Sospel et celle desservant la vallée du Paillon. Malgré la concurrence de nombreux porteurs de projet, le département maintient ses liens avec des acteurs qu’il connaît déjà, et fait le choix de partager le réseau en répartissant entre les deux exploitants des lignes aux trafics prometteurs et d’autres plus "politiques".

Il contribue à la construction en assurant, à ses frais, l’élargissement des voies empruntées et les infrastructures. Il attribue une somme forfaitaire au concessionnaire pour les travaux à réaliser sur la ligne une fois la plate-forme livrée.

L’exploitation des tramways est aux risques et périls du concessionnaire et sans aucune garantie du département. Le concessionnaire fournit et pose la voie, acquiert le matériel roulant, ainsi que le mobilier nécessaire à l’exploitation des stations et des haltes.